- CINÉMA ET THÉÂTRE
- CINÉMA ET THÉÂTRECINÉMA & THÉÂTRETout rapproche et tout sépare ces deux spectacles, le théâtre et le cinéma, qui sont devenus des métiers d’art. Le théâtre, qui meurt dans l’instant (le cinéma demeure), a une histoire à peu près égale à celle de l’humanité. Le cinéma s’est présenté d’abord comme une nouvelle «merveille de la science». Son apparition dans le salon Indien du Grand Café, boulevard des Capucines, en 1895, fit sensation. Le cinéma a emprunté d’abord au théâtre, avant de lui apporter, à son tour, ses hommes, ses techniques, ses ambitions, ses publics. Au début du siècle, l’apparition des salles de cinéma a accéléré la disparition des théâtres populaires de quartier. Le cinéma, le septième art, s’emparant des acteurs de la Comédie-Française et des grandes réalisations historiques héritées de Dumas, s’est mis à l’école du théâtre et a bousculé l’évolution du spectacle théâtral. Il s’agit, au début, d’adapter à une véritable machine théâtrale quelques trucages photographiques. Mais, tout de suite, le cinéma révèle ses possibilités immenses en matière d’entreprise de divertissement de masse. Le cinéma, au dire même de Méliès, est lancé dans la «voie théâtrale». Le symbole en est la place de la caméra supposée au centre des spectateurs. Bientôt, le cinéma se détachera du théâtre en empruntant à d’autres arts, en multipliant les performances des appareils, en révélant l’extraordinaire pouvoir des images. La caméra est bientôt identifiée à l’un des personnages, et le gros plan montre ce que le théâtre n’avait pu faire que par les mots. La parole, qui un temps rappelle la filiation théâtrale, figure ensuite dans un tout autre équilibre avec l’image; peu à peu, le réalisateur prend la place de créateur privilégié revendiquée par les metteurs en scène au théâtre. L’ouverture au monde, l’invention d’une poétique nouvelle où alternent les poursuites et les femmes fatales, la technique cinématographique retentissent sur le métier du théâtre, mais les auteurs dramatiques les plus importants semblent être restés étrangers au cinéma de leur temps.Pendant trois quarts de siècle, le cinéma a voulu lutter à armes égales avec le théâtre et il semble y être parvenu, après avoir exploré tous les domaines du théâtre: cinéma populaire, d’animation, cinéma-vérité, cinéma politique, socio-éducatif. Mais, surtout, le cinéma a donné à l’acteur une nouvelle vérité et s’est emparé du mythe de l’acteur pour lui donner une autre dimension. C’est peut-être dans ce domaine que la rupture entre cinéma et théâtre est le plus voyante. De plus, après avoir été un rival redoutable, le cinéma (et plus tard la télévision) redonne au théâtre une valeur spécifique, d’autant plus forte qu’aux yeux de certains sa signification est plus nette. Le jeune cinéma comme les nouveaux théâtres refusent l’acteur, ou plutôt lui donnent une autre valeur. Le comédien, maintenant, s’invente comme son propre personnage, s’intégrant dans une vision globale, surtout au théâtre. La distance critique qui s’impose au théâtre et au cinéma a fait une mauvaise réputation aux traditionnels acteurs de théâtre. La loupe grossissante de l’écran a mis en valeur l’inadaptation du métier de l’acteur de théâtre traditionnel aux nécessités nouvelles. Edgar Morin a dit que le jeu de cinéma exigeait une dévaluation du jeu de l’acteur en même temps qu’il suscitait une promotion du personnage. Cependant l’Actor’s Studio, développant toutes les possibilités du jeu de l’acteur, a été le lieu d’une rencontre du théâtre et du cinéma. Car le comédien de théâtre offre au cinéma la véritable durée d’un être, un temps réel.Le cinéma contemporain, comme le théâtre, propose un véritable travail, sur et par le comédien: le jeu est alors un art de se situer dans un ensemble véritable. Par là, la querelle de savoir s’il faut ou non utiliser au cinéma des acteurs professionnels apparaît dépassée. Robert Bresson redonne une valeur à l’acteur quand il dit: «Vous ne pouvez changer l’être intime d’un interprète; un regard authentique est une chose que vous ne pouvez inventer [...] il faut se faire des surprises avec les interprètes, vous avez alors des choses extraordinaires.» Le cinéma plus que le théâtre est un monde réaliste. Le théâtre demande au comédien qu’il s’incarne dans son personnage ou qu’il le critique. Au cinéma, la dictature des acteurs savants est mise en échec par la vérité d’un homme ou d’une femme qu’une bonne direction d’acteurs peut faire apparaître. Là, l’histoire compte peu; tout se passe entre l’acteur et le metteur en scène. Au cinéma, la vérité, la beauté d’un visage nous parviennent directement et nous les préférons à celles d’un masque, quelle que soit la part de l’art. Selon Elia Kazan, «après deux ou trois films, un acteur est fini»; ce qui ne veut pas dire que la vedette de cinéma n’a plus de sens, mais au contraire qu’elle en est trop chargée, renvoyant à elle-même et à des images qu’on attend d’elle. Le metteur en scène de cinéma souhaite affirmer son œuvre contre l’acteur, alors que le spectateur attend d’une reconnaissance de l’acteur une passivité réconfortante. La mythologie qui entoure un acteur de cinéma connu libère de la contrainte des mots: l’identification avec son image est immédiate, le refus également. Les spectateurs de théâtre attendent de l’acteur qu’il joue; de cette complicité naît le plaisir, non sans lucidité. Au cinéma, l’acteur sert à animer des rêves préexistants ou à en proposer d’autres comme doubles imaginaires et rassurants. Le cinéma actualise le conflit entre l’homme et le monde en temps réel. Au théâtre, ce conflit se développe en temps imaginaire.
Encyclopédie Universelle. 2012.